Je l'ai laissée partir


 Depuis mon enfance, j'ai toujours été un garçon orgueilleux. Ça m’a aidé à réussir parfois, mais souvent, ça me causait les pires douleurs. J'avoue que les réussites étaient plus nombreuses. Malheureusement, il y a des blessures qui font mal même après avoir été cicatrisées comme celle que je vais raconter. Je n'avais  pas la réputation de ce qu'on appelle "un bon garçon" mais j'étais l'un des plus sages du quartier. Une autre façon de dire que j'étais le plus sage aux yeux de tous. Mes parents m'ont donné une éducation fiable et une instruction adéquate. Mais mon orgueil me rendait égoïste, je devais toujours être le premier, le meilleur, j'oubliais que les autres avaient aussi droit à l'honneur. Il ne fallait pas que je perde ma réputation du garçon le plus brillant. Je ne me suis jamais rabaisser devant quelqu'un. Comme j'étais très sage, personne n'a remarqué cet orgueil surélevé. Je faisais en sorte que je ne sois jamais fautif. Mais ils disaient toujours que je prenais un fou plaisir à briser le cœur de mes petites amies et voilà pourquoi j'étais un mauvais garçon.


  Je sais que mes relations amoureuses n'ont jamais duré mais j'avais une bonne raison. Je ne voulais pas tomber amoureux. J'en avais peur. Je l'admets, pour la première fois. J'ai vu mon oncle se faire larguer par une jeune femme qu'il adorait. Il l'a suppliée, à genoux, de revenir. Elle n'a même pas eu pitié. Pourtant elle se faisait passer pour la fille la plus amoureuse sur terre. On aurait dit que Juliette était sortie des romans et des films. Comme je la hais, cette femme! Mon oncle était anéanti après cette rupture brusque. Il n'avait rien fait de mal, le pauvre. Je n'ai pas pu m'imaginer, moi qui réussissais dans tout, m'effondrer pour une fille. Il fallait que mon cœur reste intact. Il fallait que je ne perde jamais le contrôle. C'est cette décision qui m'a couté toute cette monstrueuse qualification. Et bien plus. Ce contrôle n'était rien que fuir à chaque fois que ça devenait sérieux.
  
  Pourtant, je ne me voyais pas sans copine depuis ma première relation amoureuse quand j'avais 16 ans. J'ai mis du temps par rapport à mes amis. A cet âge, j'avais déjà l'allure d'un beau jeune homme bien construit bien que je n'étais qu'au beau milieu de l'adolescence. Les filles m'embêtaient, elles faisaient exprès de m'agacer et me provoquer. Ce qui m'arrangeait puis que ma philosophie amoureuse était d'avoir toujours, au moins, trois petites amies. En même temps. Il ne fallait pas que je laisse de vide quand je laisse tomber une de mes copines. Ou qu'une d'entre elles me laisse tomber. Ça arrivait souvent. Il fallait que j'aie toujours quelqu'un pour satisfaire les désirs de mon bas-ventre. 
  
  Ça a toujours été ainsi jusqu'à ce jour... Ouais ! Ce jour qui est resté gravé dans ma mémoire. J'avais déjà 20 ans. Comme j'ai terminé mes études classiques à 17 ans, j'étais en 3e année de médecine. C'était le premier jour de la nouvelle année. Je blaguais avec mes potes quand j'ai vu entrer cette nouvelle. J'ai eu ces trois petits battements de paupières. Ces battements qui signifient : allez, fonces, c'est elle ! J'ignorais leur signification à ce moment. Je savais seulement que j'ai flashé sur elle. Surtout que la veille, une de mes copines, qui se trouvait trop jalouse pour être en couple avec un "Don Juan, menteur et tricheur" comme moi (pour utiliser ses mots) m'avait laissé tomber. Dès que j’ai vu cette fille, je me suis dit qu'elle allait être la troisième pierre de mon feu. Ma chaudière commençait déjà à avoir du mal à se tenir droit.


  Je l'ai surveillée pendant des mois pour bien dessiner mon plan d'approche. Je me suis bien enquêté sur elle. Dieu merci la meilleure amie de ma sœur la connaissait très bien.  Je me suis approché d'elle, sûr de moi parce qu'elle était très abordable et très cool. Elle parlait et riait avec tout le monde. En plus, je n'avais pas encore eu d'échec dans ses genres de choses surtout que c'était les filles qui me couraient après. J'ai eu mon lot de surprise quand elle a froidement répondu non à ma proposition. Elle ne voulait même plus m'entendre. Orgueilleux comme je le suis, j'ai décidé de lutter jusqu'au bout. Il n'était pas question de laisser cette recrue me dicter sa loi. Je négligeais mes deux copines pour me concentrer sur mon plan d'attaque. Voyant cela, elles ont rompu, je n'attendais que ça. J'étais prêt à jouer le rôle du bon petit garçon juste pour atteindre son cœur et lui faire payer son insolence : avoir tenu tête contre moi. 

   Plus je m'approchais d'elle, plus je ressentais un sentiment bizarre. Un sentiment que je ne comprenais pas. Non! Un sentiment que je ne connaissais pas. Pourtant, j'ai persisté, ce n'était pas dû à mon orgueil mais plutôt à ce sentiment que je n'arrivais pas à cerner. J'ai persisté jusqu'à ce qu'elle ait accepté, enfin, de me parler. J'ai compris que ce n'était pas facile de la convaincre. Malgré sa tendance à être ouverte avec tout le monde, elle était une fille très réservée et très bien instruite. Ça n'a fait que m'attirer. Je ne pouvais plus me passer d'elle. Je lui parlais tout le temps, lui faisait part de mes sentiments dont j'ignorais encore l'existence et qu'elle rejetait toujours. 
  
  Puisque mon oncle était mon meilleur ami, je lui ai fait part de ces trucs bizarres que je ressentais. Ironiquement, il m'a dit que j'étais, sans nul doute, amoureux. Je pensais qu'il blaguait. Mais il a pris son air sérieux pour me répéter la même phrase. Il a pris le soin d'ajouter : "ne la laisse pas filer". J'ai voulu lui casser le bec mais ce n'était lui mon problème. Je n'arrivais pas à croire que cette fille m'avait capté jusqu'à tomber amoureux d'elle. Moi, amoureux ! Je ne pouvais pas accepter que toutes mes précautions n’aient servi à rien. Je ne voulais pas que l'amour ait raison sur les toutes les mesures que j'ai prises. Alors, j'ai commencé à m'éloigner d'elle. Je l'ai repoussée à chaque fois qu'elle essayait de me parler. J'ai abandonné mes plans. J'avais peur de la rencontrer, peur de la voir, de l'entendre. Je voulais juste que ce soit un simple coup de foudre.  J'ai donc repris mes bonnes vieilles habitudes en espérant qu'elle allait sortir de ma tête. Je voulais l'oublier complètement pourtant elle, elle était tombée follement amoureuse de moi. Elle voulait me le dire mais je ne lui ai jamais donné l'occasion parce que je la fuyais toujours.

  A la fin de l'année, elle est venue me voir et m'a dit qu'elle s'en allait. Elle a demandé une lettre de transfert et elle s'en allait. Elle s'en allait pour ne plus revenir. Toujours sur mes gardes, je lui ai demandé pourquoi. Elle a baissé les yeux pendant cinq secondes, m'a tenu les mains et m'a dit qu'elle m'aimait et qu'elle avait marre de me sentir si éloigné alors que j'étais tout près d'elle et qu'elle avait marre de me voir avec toutes ces filles. Je n'ai même pas eu le temps de répliquer, elle est partie en courant. 

   Et moi, j'étais resté là. Abasourdi. Sans rien dire, sans rien faire pour la retenir. Juste parce que mon orgueil m'empêchait de courir après une fille. Elle m'a dit qu'elle m'aimait et je n'ai rien dit. Elle m'a dit adieu et je n'ai rien fait. Je l'ai vu prendre la route en courant et je ne l'ai pas retenue. J'étais juste resté coi. Un nouveau cœur brisé par ma faute. Mais cette fois le mien s'est brisé aussi. Elle est partie alors que je l'aimais aussi. Simplement parce que mon orgueil me l'imposait, je l'ai laissée partir...



Danienska Edgar DORSAINT
Jeune Penseur


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