Le vendredi
24 octobre 2025 denier, l’Auditorium du Campus Henry Christophe de l’Université
d’État d’Haïti à Limonade (CHC-UEH-L) a reçu un moment solennel et inspirant :
la soutenance du mémoire des étudiants en médecine Dregh-Rood-Therly AUGUSTIN,
Sweetie Fevrinta GEORGES et Mario JOSEPH en médecine.
La
soutenance de leur travail académique intitulé « Évaluation des facteurs
associés à la décompensation cardiaque chez les patients de 30 ans ou plus au
service de médecine interne de l' HUJ de juillet à décembre 2023 », organisée
par le Décanat de la Faculté des Sciences de la Santé du CHC-UEH-L, a réuni
plusieurs dizaines de personnes dont des collègues étudiants, des professeurs, des
collaborateurs venus spécialement de Hôpital Sainte Thérèse de Hinche, des amis
venus de l’Université Chrétienne de la Communauté de Caïman (UCCC) de Pignon
etc., en présentiel et connectés via Google Meet.
Centré sur
les facteurs associés à la décompensation cardiaque, le mémoire aborde un
problème de santé majeur en Haïti... Dans un pays où les maladies
cardiovasculaires figurent parmi les principales causes de morbidité, ce
travail met en lumière les conditions, habitudes de vie et antécédents médicaux
qui favorisent la dégradation de la santé cardiaque.
À travers
une démarche combinant analyse clinique, observation hospitalière et évaluation
statistique, les trois jeunes médecins ont cherché à identifier les principaux
déterminants de la décompensation cardiaque chez les patients haïtiens, tout en
évaluant la fréquence de certains facteurs de risque tels que l’hypertension,
la sédentarité, l’âge et le diabète.
Les
résultats montrent notamment que les facteurs modifiables comme l’inactivité
physique, la mauvaise hygiène alimentaire et le manque de suivi médical, jouent
un rôle déterminant dans la survenue de la décompensation cardiaque. Leur étude
souligne également la nécessité d’un meilleur dépistage et d’une éducation
sanitaire renforcée pour réduire les hospitalisations et la mortalité
associées.
Après leur
soutenance, nous avons rencontré les trois jeunes médecins pour échanger
brièvement sur leur parcours et les enseignements tirés de cette expérience
scientifique commune. 
L’entrevue
en transcription :
JLBJ :
Pouvez-vous nous résumer en quelques mots le sujet central de votre mémoire et
les motivations qui vous ont poussés à choisir de mener votre recherche la
décompensation cardiaque ?
Réponse : Notre
travail porte sur la décompensation cardiaque, une pathologie fréquente et
grave représentant une cause majeure d’hospitalisation et de mortalité, avec
pour objectif d’identifier les facteurs qui y sont associés chez une population
relativement jeune. En plus de son intérêt scientifique, le choix de ce sujet se
révèle aussi important tant sur le plan humain que personnel.
Sur le plan
humain, cela nous a interpellé de voir des patients revenir encore et encore
dans la même situation sans que les facteurs mêmes modifiables ne sont pas
complètement identifiés et contrôlés. Sur le plan personnel, le père de notre collègue
Dregh AUGUSTIN, est décédé des suites d’une décompensation cardiaque et
aujourd’hui encore notre ami revit les multiples hospitalisations de son
paternel.
JLBJ :
Pourquoi avoir ciblé les patients âgés de 30 ans ou plus ? Y a-t-il une réalité
clinique particulière à cet âge que vous avez remarquée en Haïti ou dans le
nord du pays ?
Réponse : Les adultes jeunes (30 ans ou plus) sont peu ciblés par les politiques de prévention et de dépistage des facteurs de risque cardiovasculaires. Et pourtant, dans notre contexte, ils sont particulièrement exposés à l’Hypertension Artérielle, l’alcool, le tabac pour ne citer que ceux-là.
JLBJ :
Votre étude révèle que la sédentarité, l’hypertension et l’âge avancé sont
parmi les principaux facteurs de risque. Comment interprétez-vous ces résultats
?
Réponse : Ces
résultats traduisent l’interaction entre des facteurs physiopathologiques bien
établis. La sédentarité induit une diminution de la capacité aérobie, favorise
la résistance à l’insuline, l’obésité et le remodelage cardiovasculaire
défavorable. L’hypertension artérielle chronique provoque une hypertrophie
ventriculaire gauche, une rigidité myocardique et, à long terme, une altération
de la fonction diastolique menant à l’insuffisance cardiaque. Quant à l’âge
avancé, il s’accompagne de modifications structurelles et fonctionnelles du
myocarde, d’une fibrose interstitielle, d’une baisse de la compliance
ventriculaire et d’une augmentation de la charge hémodynamique. L’association
de ces facteurs potentialise le risque de décompensation cardiaque en
fragilisant le système cardiovasculaire et en réduisant la tolérance aux
agressions métaboliques ou hémodynamiques.
JLBJ :
Comment décririez-vous l’état actuel de la prise en charge des patients
cardiaques en Haïti ? Y voyez-vous des progrès ou des lacunes majeures ?
Réponse : La
prise en charge des patients cardiaques en Haïti demeure limitée, malgré
quelques avancées ponctuelles. Le système de santé fait face à un manque criant
de structures spécialisées, d’équipements adaptés et de cardiologues, ce qui
retarde le diagnostic et complique la gestion des cas graves. Les maladies
cardiovasculaires, souvent liées à une hypertension mal contrôlée, à la
sédentarité et à des habitudes alimentaires inadaptées, touchent une population
de plus en plus jeune.
Quelques
progrès sont observés grâce à des initiatives de dépistage communautaire (programmes
NCD, Zanmi Lasante), à des formations médicales ciblées et à l’appui
d’organisations non gouvernementales, mais ces efforts restent isolés et
insuffisants pour répondre à l’ampleur du problème. La situation est aggravée
par l’instabilité sociopolitique, le manque de ressources et les difficultés
d’accès aux soins, créant un contraste marqué entre la charge croissante des
maladies cardiovasculaires et la capacité réelle du système à y répondre
efficacement.
JLBJ :
Votre recherche parle de “facteurs modifiables”. En quoi ces facteurs
représentent-ils une opportunité pour la prévention et l’action publique en
Haïti ?
Réponse : Les
facteurs modifiables, tels que la sédentarité, l’alimentation déséquilibrée, le
tabagisme ou la mauvaise observance thérapeutique, représentent une véritable
opportunité pour la prévention en Haïti, car ils peuvent être corrigés par des
interventions ciblées et peu coûteuses. En agissant sur ces déterminants, il
est possible de réduire significativement l’incidence des décompensations
cardiaques.
Ils offrent
aussi un levier d’action pour les autorités de santé publique à travers des
campagnes d’éducation sanitaire, la promotion de l’activité physique, le
dépistage précoce de l’hypertension et l’amélioration de l’accès aux soins
primaires. Dans un contexte de ressources limitées, la prévention des facteurs
modifiables constituerait la stratégie la plus efficace et la plus durable pour
freiner la progression des maladies cardiovasculaires et améliorer la qualité
de vie des patients.
JLBJ
: Dans un pays comme le nôtre où les moyens hospitaliers sont souvent
limités, quelles mesures concrètes recommanderiez-vous pour réduire les cas de
décompensation cardiaque ?
Réponse : Nous
recommanderions d’abord de renforcer la prévention par des campagnes
d’éducation sur les facteurs de risque cardiovasculaires et la promotion d’un
mode de vie actif et équilibré. Ensuite, il serait essentiel de lancer des
programmes de dépistage précoce de l’hypertension, du diabète et des autres
facteurs de risque au niveau des centres de santé primaires, afin de prévenir
la progression vers l’insuffisance cardiaque.
JLBJ :
Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la collecte ou l’analyse des
données à l’Hôpital Universitaire Justinien ? Quels obstacles en général
aves-vous surmonté avant de pouvoir concrétiser ce travail ?
Réponse : La
principale difficulté rencontrée a été liée aux dossiers médicaux. Les dossiers
étaient des manuscrits le plus souvent incomplets et mal archivés. Cela a
nécessité un travail rigoureux afin de préserver la qualité et l’exhaustivité
des données recueillies. Le manque d’outils informatisés pour la gestion des
données a également rendu la collecte plus lente et plus complexe.
Sur le plan
logistique, les ruptures d’électricité, le manque de matériel et la
disponibilité limitée du personnel hospitalier ont constitué des contraintes
majeures. On a dû adapter le calendrier de collecte, solliciter la
collaboration de collègues médecins et étudiants en médecine et établir un
protocole strict pour uniformiser la saisie des données.
JLBJ :
Quel message aimeriez-vous adresser aux futurs étudiants en médecine qui
souhaitent mener des recherches cliniques dans le contexte haïtien ?
Réponse : Nous
leur dirions de faire preuve de patience, de persévérance et de rigueur
scientifique. Mener une recherche clinique en Haïti demande de la
détermination, car les ressources sont limitées et les obstacles nombreux, mais
chaque étude contribue à enrichir la connaissance locale et à améliorer la
pratique médicale. Nous les encourageons à choisir des thématiques pertinentes
pour la population haïtienne, à bien maîtriser la méthodologie de recherche et
à collaborer étroitement avec les services hospitaliers. Enfin, nous leur
rappellerions que malgré les difficultés, la recherche clinique est un acte de
résilience et d’engagement envers la santé publique, et qu’elle peut
véritablement influencer la qualité des soins et les politiques de santé du
pays.
JLBJ : Et
maintenant que vous êtes docteurs, comment envisagez-vous la suite ?
Souhaitez-vous poursuivre en cardiologie, en recherche ou dans la pratique
hospitalière ?
Dr Dregh
Rood-Therly AUGUSTIN : Je souhaite d’abord me spécialiser en
médecine interne, puis me tourner vers une sous-spécialisation en cardiologie,
afin de développer une expertise clinique solide. Parallèlement, je veux
continuer à m’impliquer dans la recherche cardiovasculaire, en particulier sur
la prévention des facteurs de risque et la décompensation cardiaque. Cette
démarche a une dimension personnelle et motivante : la décompensation cardiaque
a emporté mon père, et je veux contribuer concrètement à mieux comprendre,
prévenir et traiter ces situations pour protéger d’autres patients. Mon
objectif est donc de combiner pratique clinique et recherche appliquée, afin
d’améliorer la prise en charge et la prévention des maladies
cardiaques en Haïti.
Sweetie
Fevrinta GEORGES : J'aimerais faire une spécialité en
chirurgie générale et par la suite une sous spécialité en chirurgie
pédiatrique. C'est une sous spécialité rare en Haïti. Cette spécialité m'attire
particulièrement pour son aspect technique, la précision qu’il exige et la
possibilité d’agir directement pour améliorer la qualité de vie des patients.
J’aimerais pouvoir développer une expertise à l’interface entre la médecine et
la chirurgie, en gardant toujours en tête la dimension clinique et humaine du
soin.
Mario
JOSEPH : La réalisation de ce travail de fin d'étude m'a beaucoup
aidé à approfondir mes connaissances sur les pathologies cardio-vasculaires
notamment la décompensation cardiaque, en analysant les différents déterminants
cliniques, sociaux et thérapeutiques qui influencent son évolution, sa survenue
et sa fréquence. Mais je reste intéressé à la pédiatrie, une spécialité qui met
l'accent sur la prévention et le développement harmonieux de l'enfant.  Je suis convaincu que la santé de l'adulte
trouve ses racines dans la santé de l'enfant et que les bonnes pratiques
médicales instaurés dès le plus jeune âge permettent de prévenir de nombreuses
pathologies chroniques à long terme, notamment les maladies cardio-vasculaires.
Enfin la
soutenance s’est distinguée non seulement par la qualité scientifique du
mémoire, mais aussi par la maturité intellectuelle et la prestance des trois
jeunes chercheurs. Des étudiants de diverses facultés ont chaleureusement salué
leur savoir-faire et leur éloquence. Pour nous leur travail représente une
contribution concrète à la compréhension des maladies cardiovasculaires en
Haïti, et ouvre la voie à de nouvelles recherches en santé publique. Il
s’inscrit également dans une démarche de responsabilité scientifique et
sociale.
Le jury,
composé du Dr Claudel NOËL (Président), du Dr Jean-Pierre PAUL (Lecteur
critique) et du Dr Joachim ESROME (Encadreur), a salué la qualité du travail et
la prestation éloquente des impétrants, en leur attribuant la note de 83/100
et la mention « Très Bien ».
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Dregh-Rood-Therly AUGUSTIN : Fort-Dauphinois âgé de 28 ans. Il est enseignant, poète, membre de l’association JEUNE PENSEUR... Il est passionné de recherche scientifique dans le domaine de la santé publique, c’est dans ce sens qu’il a créé avec quelques amis « Redamh », un service de consultation méthodologique et de rédaction scientifique. Il est également un jeune entrepreneur qui investit dans le domaine de la santé, l’électronique et la maroquinerie.
Passionné par la médecine interne, il nourrit un intérêt particulier pour la cardiologie, domaine où il envisage de poursuivre sa spécialisation.
Sweetie Fevrinta GEORGES : Médecin de 28 ans, passionnée par la santé publique, les droits humains et l’écologie, elle s’engage pour une médecine humaine, éthique et durable. Convaincue que la santé ne peut être dissociée des conditions sociales et environnementales, elle œuvre à promouvoir une approche globale du bien-être, alliant prévention, équité et respect de la planète.
Mario
JOSEPH : Placentin âgé de 28 ans. Il est diplômé en entrepreneuriat
et a fraîchement obtenu le grade de docteur en médecine.
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À ces trois
nouveaux docteurs en médecine, nous adressons nos plus chaleureuses félicitations et nos
meilleurs vœux de réussite pour la suite de leur parcours académique et
professionnel. Que cette étape franchie soit le début d’un long chemin sur les
sentiers de la science, de la médecine et de l’excellence.
BRAVO À EUX ! ! !


