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On me nomme Pierre JACOB, je suis originaire de la section communale des ʺDeux-oreillesʺ précisément des montagnes de l’habitation ʺBon-Mannyèʺ. Mon père est agriculteur et ma mère est un ‘’madan Sara’’, ces deux-là ont conjugué beaucoup d’efforts pour me donner le pain de l’instruction, ils se sont sacrifiés corps et âme pour m’élever, moi et mes cinq frères et sœurs. Ma famille a beaucoup souffert parce que leurs moyens économiques ne répondaient pas. Après quinze ans passés à l’école classique, il a fallu que je me dirige vers un centre d’enseignement supérieur. Choisir une filière était pour moi la chose la plus difficile. Je devrais opter pour un domaine qui ne prend pas beaucoup de temps, qui est moins coûteux et pour lequel mes competences seraient à la hauteur parce que mes parents me disaient toujours : «Tipyè se ou ki premye pit an nou, ou dwe travay di ak etidye leson w pou w fini lekòl òw ak inivèsite w pou w ka jwenn yon kote pou w debouye w ti gason. Se sa k fè n ap goumen ave w, se sou ou espwa nou ye, pou w sipòte nou epi ede lòt timoun yo nan non Jezi ak Lèsen yo». La passion était pour moi une illusion, de ce fait, j’ai choisi contre ma volonté, la première option que m’a conseillé un voisin du canton pour lequel mon père avait l’habitude de faire certains travaux domestiques et qui lui-même était soutenu par son neveu qui était à l’étranger. Je ne savais pas ce que je voulais mais je savais ce que je ne voulais pas, je savais aussi que je devrais choisir par moi-même la profession que j’aimais mais je n’en pouvais rien, c’était mon sort.
Bref ! Je suis un actuel étudiant
en troisième année de Sciences administratives à l’Université publique située
dans le chef-lieu du département qui m’a vu grandir. Je viens d’avoir mes vingt-cinq
ans le mois dernier. Tracassé par les difficultés de la vie, j’avais oublié le
jour de mon anniversaire, le malheureux 5 Décembre avait perdu sa petite place
dans ma mémoire. Cette journée qui devrait être la plus belle de mon calendrier
en tant que vivant, Hélas ! Après un quart de siècle je suis toujours sur
la responsabilité de mes parents, c’est à eux que reviennent tous mes
besoins : nourriture, logement, transport, école… pour ne citer que ceux-là.
Je pourrais citer d’autres mais arrêtons
sur le dernier : l’école, ce fameux mot sur lequel ces lignes vont se focaliser.
C’est lui qui m’a poussé à prendre ma plume, aujourd’hui je lui dois cette portion d’encre.
A travers ces quelques paragraphes, je vais utiliser le terme ECOLE, pour me référer à toute forme de
connaissance ou apprentissage purement et simplement théorique.
En effet les péripéties
commencent depuis l’enfance avec la maternelle et se poursuivent avec le
primaire, le secondaire, la licence, le master, le doctorat, le post-doctorat voire d’autres encore, qui sait ? Les sociétés
restent fortement accrochées au dogme que l’école est à la base de la réussite. Il
faut tout retenir et surtout ne rien ignorer. Parfois sans aucune
importance, on nous enseigne tous genres de trucs : les mathématiques, la
physique, la biologie, la chimie, la littérature, la géologie, la
philosophie, la géographie, l’histoire et j’en passe. Si nous ne sommes pas
passés sur les bancs de l’école, nous serons contraints de rester à l’écart de
diverses affaires dans la vie. On nous fait croire que nous demeurerons éternellement
dans l’ombre et que nous n’aurons jamais le droit de participer à certaines activités.
En Haïti, se rendre à l’école
est un grand combat, disons un combat complexe puisqu’on ne sait avec quoi ni pourquoi on lutte. Nous avons franchi toutes les étapes mais pas de
garantie pour notre succès; nous étions excellents à l’école mais notre réussite n’est
pas rassurée. Après quinze années au classique et plusieurs autres au
supérieur, nous vivons encore dans la crasse et la misère nous bastonne,
parfois avec plus de rigueur que ceux qui n’y ont pas été.
Je me rappelle ces enfants qui
dandinent dans les rues à la sortie des classes à cause des sacs à dos
pleins de livres, de cahiers et d ‘autres fournitures classiques qu’ils sont
obligés de porter tous les matins. Je me souviens de ces institutions
congréganistes qui obligent les élèves à rester trois ou quatre heures de plus
après les cours juste parce qu’ils avaient oublié une portion de la leçon à
réciter ou parce qu’ils n’ont pas assisté à la messe du dimanche. Il y a des
enfants qui habitent les zones reculées qui doivent parcourir plusieurs
centaines de mètres à pied, parfois jusqu’à une dizaine de kilomètres, pour se
rendre en salle. Le pire, ils doivent se débrouiller pour trouver un morceau de
bois sec pour la cuisson de la nourriture à l’école sinon la barrière ne leur
sera pas ouverte.
Je pense à ces jeunes qui, en vue d’intégrer
une université, migrent vers la capitale, laissant les campagnes pour aller
s’accommoder à la réalité Port-au-Princienne. Une vie qui est loin d’être
normale ; en plus des bandits, des embouteillages, des braquages, des escroqueries
et autres ; ils sont confrontés au bas la vie sur toutes les angles. Des nuits
sans sommeil, des journées de faim, achat de documents, frais de transport,
toutes sortes de malaises, ils sont toujours tourmentés. Des examens ratés, des matières
à reprendre, de la calcination(quand on n'obtient pas la note de passage pour un
cours, «Monchè m boule wi»), de la méchanceté du coté de certains collègues étudiants malveillants, … une liste qui
pourrait s’allonger. Pour le logement, soit ils louent une demie-chambre pour
plusieurs milliers de gourdes soit ils se réfugient dans la petite pièce où les
membres de leur famille sont coincés, entre des murs qui
comptaient déjà trop de monde. Après les quatre,
cinq ou sept ans, s’ils ne lâchent pas l’affaire ils vont terminer le cycle au
péril de leur vie.
Après tout ça, les résultats
sont durs à constater. Des jeunes licenciés qui sont éparpillés à travers tout
le pays, qui n’arrêtent pas de déposer des enveloppes jaunes(CV) dans des institutions çà et là ; les
jours viennent et s’en vont mais : zéro appel, zéro embauche, l’emploi demeure pour eux l’un des murs les plus
difficiles à grimper. Des patrons qui exigent certaines jeunes filles à livrer leur corps pour trouver un
poste, des finissants désespérés qui cherchent partout sur le web des bourses d’études
pour aller étudier à l’étranger sans oublier
ceux qui partent faire des travaux humiliants dans des pays voisins ou qui
retournent à la maison pour transporter de l’eau et prendre soin des petits
enfants. Les rares qui arrivent à trouver une institution qui les emploie ne
sont pas respectés et ne sont pas normalement payés. Etudier pour chômer est
donc la règle. La solution qui pourrait être la mieux envisagée, ce serait de
monter leur propre entreprise. Mais non, nous vivons sur une terre de risque,
les moyens pour démarrer ne sont pas présents, les bailleurs ne vont pas leur prêter
parce qu’ils n’ont rien qui peut leur garantir le remboursement. Il n’y a pas
grande chance que l’entreprise survit car toutes les responsabilités de la
famille vont en dépendre, les malfrats pourront à n’importe quel moment avoir l’intention
de les faire plonger, ajoutés à ceux-là les vols et les arnaques ; je n’écarte
pas la sorcellerie qui est monnaie courante.
Pourtant les enfants de rue qui
n’ont pas les moyens pour emprunter le chemin de l’école sont synonymes de bandits.
Ils se laissent plus facilement influencer, ils se déraillent bon nombres de
fois et sont plus susceptibles à acquérir les mauvaises manières. A cause de
ces types de comportements affichés par quelques-uns d’entre eux, on les met tous dans le même sac.
Ils ne seront épargnés que s’ils ont été accueilli en domestique chez des gens, là
encore, ils seront victimes de toutes sortes de violences. Vous imaginez l’humiliation
et la déception d’un adulte qui ne peut pas vérifier le bulletin scolaire de
son enfant ou qui doit faire une croix en guise de signature sur une fiche de
transfert dans une banque! Quel est le meilleur choix, quelle décision est donc la plus rationnelle ? Les réponses ne sont que soupir. Hmmm !
Revenons à moi, j’ai un secret à partager. A
ce stade de mes jours, ma vie estudiantine est arrivé à un point périlleux et très
délicat. Je me sens lassé, désespéré d’être sur une voie sans savoir où elle va
me mener. J’en ai marre de l’école. Cette préoccupation m’empêche de retenir les
notes que j’étudie. Les formules et les règles s’envolent dès l’instant où je
ferme le cahier, une fois le feuillet déposé les leçons disparaissent de mon
cerveau. J’aimerais mieux être sot ! Au diable les profs ! Merde aux
putains cours ! Quelle Simagrée pour les jeunes de ma génération !
Quel malheur ! Pourquoi je me trouve dans cette bagarre qu’est devenue l’école.
Pourquoi m’oblige-t-on à apprendre toutes les choses par cœur ?
Pourquoi suis-je resté là à attendre des foutus bouts de papier si c'est pour les entasser dans
un tiroir ? Je ne vais pas vous cacher ; ces exclamations et
interrogations me reviennent à l’esprit à chaque fois que je réfléchis. Drôle? Je ne sais pas… un truc est sûr ; c’est que j’aboutis toujours à une seule
et même déduction comparable à celle-ci qu’a conclu Junior MESAMOURS : « Le plus grand malheur d’un peuple est une éducation
dont la finalité c’est des notes et des diplômes et non la formation de
citoyen/ne/s conscients ; productifs ; capables de transformer leur société .»
Certains ont réussi dans
plusieurs domaines sans avoir été à l’école ou sans avoir terminé leurs études
classiques. Je crois que les différences qui existent entre ces gens et nous qui étions passé par cette étape, ne
sont pas nombreuses. Les types de complexités que nous appliquons, ils ne se
sont pas donnés la peine d’en procurer. Ils n’ont pas appris des choses par
cœur mais par expériences, ils ne sont pas habitués aux mêmes endroits
(Universités, Bibliothèques, centres d’enseignement) que nous mais nos visions
sont les mêmes, leurs guides ne sont pas des professeurs mais la vie, nos
bagages(intellectuels) ne sont pas les mêmes mais nous voulons tous avancer. Ceci dit, nous
avons presque les mêmes probabilités de réussite, évidemment si ma définition de
la réussite est identique à la vôtre. Alors j'entends par réussite, le fait de réaliser les objectifs qu'on s'est fixé et qu'on vit comme on le souhaite.
Sachez
que je ne voulais pas me plaindre, je voudrais partager ce que je pense tout
simplement. Je n’écris pas pour vous faire comprendre que vous ne devriez pas
mettre les pieds à l’école. D’ailleurs, moi-même je jure de continuer même
quand ma situation dégénère. En dépit de tout, l’école reste un poids qui pèse
lourd dans la balance qui peut aider quelqu’un sur le chemin de la réussite. Maintenant vous qui croyez
toujours que l’école est indispensable à la vie, si vous me répondez cette
question et que vous êtes en mesure de prouver que ce que vous dites est vrai,
je vous rejoindrai volontiers. Quelle est la formule précise pour réussir sa
vie ? En attendant je tiens mes
propos "L’école ! J’en ai
marre".
Note :
** Le ‘’JE’’ utilisé dans le texte est totalement imaginaire, il n’a donc
aucun rapport avec l’auteur. En prenant la forme d’un jeune qui exprime
personnellement ses frustrations, son objectif était de mettre le lecteur en
face de cette frange de la réalité haïtienne.
Berckson Johnsly JEAN-LOUIS
Etudiant en Sciences Informatiques
CHC-UEHL
Jeune Penseur
|
Catégorie :
Vie
RépondreSupprimerMhhhhhhhhhhhhhh aussi
Vous n'êtes pas le premier à y penser mon grand. Un auteur russe nommé Ivan Illitch a déjà rêvé "une société sans école", titre de son ouvrage.
RépondreSupprimerBien reçu ! Je vais essayer de lire son ouvrage.
SupprimerNombreux parents haïtiens pensent que l'école est "LA" clé de la réussite, ils méprisent toute forme d'initiative que puissent prendre les enfant pour gagner un peu d'argent. Surtout lors qu'ils disent: "m pa voyew lekòl pouw fè komès", sans se rendre compte que cette petite activité est l'initiation de leurs enfants dans le monde entrepreneurial.
RépondreSupprimerMerci de nous avoir aidé à repenser à ça. Tous les parents haïtiens devraient lire ce texte. Félicitations grand frère.