CHOIX ou OBLIGATION ?

cp: 123RF

    Zapata Belle-Lune c’est le nom figuré sur mon acte de naissance mais on m’appelle majoritairement Zazou. J'ai à peine vingt et un ans. Je suis une orpheline de père, étudiante admise en troisième année de sociologie. "Toujours timide, discrète et réservée", avant, c'est ce qu'on disait généralement de moi. C'est vrai! C'est tellement vrai que j'ai une seule et unique amie dans ma promotion. Je me demande en effet, si je peux considérer comme amie, une demoiselle qui est seulement là pour me passer les notes et m'expliquer ce que les professeurs ont enseigné en mon absence. Bref ! Tout le monde savait que je venais rarement à la faculté et que je dormais aux cours les rares fois que j'y mette les pieds. Mais personne ne savait si c'est à cause de ma douloureuse maladie. Le décanat n'est jamais au courant de mon traumatisme, même mes collègues ne savent pas si je vis un enfer ! Les choses ont changé depuis que ma grossesse commençait à être visible. Des regards tordus et des injures venues de toutes les couches ; je suis donc devenue la risée de tous : 

-Elle savait ce qu'elle manigançait, elle faisait semblant d’être un ange mais maintenant nous découvrons son vrai visage ! 

 -Regarde la fille zuzu! Elle commence à se courber sur le dos, sa panse gonfle. Krakrakra… 

-Elle était tellement prétentieuse et la voici avec le ventre qui s'étire. Quelle surprise, on dirait que le figuier a produit ses fruits !

-Oh la pauvre ! Elle est si maigre ! Sera-t-elle en mesure de tenir dans ses bras un enfant ? 

-L'a-t-on violé ou est-ce un accident ?                                

-Messieurs dames, avez-vous appris la nouvelle ? Wawww, la sainte Zazou a un polichinelle dans son tiroir !

   Entre autres, ce sont ces principales déclarations que j’entends partout à mon sujet. Je n'ai jamais répondu, disons plutôt que j'ai joué le sourd-muet. Mais ma plume, elle, ne va pas se taire. Laisse-la raconter :

   J'avais onze ans quand tout a commencé. Je venais à peine d'avoir mes premières règles. Je gémissais, je commençais par souffrir pendant huit, dix... voire quinze jours au cours d'un seul mois. Mon bas-ventre et mes reins m’étaient toujours un calvaire. Le pire, je me suis évanouie variablement. Je ne pouvais pas différencier les douleurs causées par mes règles de celles causées par cette pénible maladie que j'allais être au courant de son existence cinq ans après, soit à seize ans. À cette époque, ma souffrance était à l'extrême et ma mère m'emmenait à l'hôpital une toute première fois. Il faut dire que cette décision avait retourné toute la famille contre elle. Heureusement qu'elle est chrétienne ! Pour mes proches, mon sort était lié à la sorcellerie ; ils pensaient tous que j'étais persécutée. Ma mère possédait une boutique, en plus j'étais toujours la première de ma classe avant ma maladie !  Ils ont même dit que ce sont les assassins de mon père qui préparaient un nouveau coup.

   Un premier rendez-vous, un deuxième puis un troisième. Le médecin avait enfin tout craché :

-Je suis désolé madame, nous voulions d'abord être certains ! Votre fille est frappée d'un dangereux fibrome. Sa maladie est arrivée à un niveau compliqué qui nous ne laisse pas d'autres solutions que d'enlever son utérus. Alors si elle veut être mère à l'avenir, elle doit se dépêcher d'avoir un bébé le plus vite que possible avant qu'il soit trop tard parce ce que son cas dégénère au jour le jour. 

À cela s'ajoutaient des médicaments et des instructions comme : « Ne fais pas trop d'efforts, tu dois visiter régulièrement un gynécologue… » Apprenant la nouvelle, ma maman avait augmenté ses journées de jeûnes, elle ne cessait pas de prier. Quant à moi, mes pleurs et mes peines étaient multipliés. J'ai failli rater mon Bacc ; Dieu merci je m’en suis sortie avec seulement deux points au-dessus de la note exigée. J'étais enfin convertie pour de bon mais ni les prières ni les médicaments ne pouvaient me soulager. Au contraire, ça ne faisait qu’empirer comme j'ai été prévenue....

   Adieu à mon rêve de devenir ingénieure mécanicienne ! Je dois me protéger. En plus, la boutique n'y est plus ; les coûts des prescriptions l’ont ravagé ! Mais j'avais quand même intégré l'université. Humm ! Un mois après la rentrée, j'ai dû abandonner mes études pour un poste de réceptionniste dans un petit hôtel dans mon quartier. Ce dernier dispose une discothèque et une demi-dizaine de minuscules chambres construites pour faire des ‘’patati patata’’. Du lundi au vendredi, je devais être sur place pour accueillir les nouveaux arrivés, vérifier leur identité, noter leurs noms et demander au guide de leur indiquer leur chambre. Ce qui se passait dans l'espace ne m'intéressait pas, j'étais plutôt occupée à faire mon boulot. Car j'en avais besoin pour remplir la petite boîte secrète que j'avais fabriquée pour économiser du fond dans le but de me soigner ; même quand je ne savais pas ce que serait mon choix. La petite somme que je gagnais était ma seule motivation. Malheureusement, le patron était obligé de me révoquer après seulement un mois et demi, j’avais en ce temps, cumulé un nombre d'absence environnant une vingtaine de jours sur les quarante-cinq que j’ai passés à y travailler.

   Après mon renvoi, je reprenais mon cursus tout malement. J'ai passé une année de plus à attendre que le ciel vienne à mon secours mais rien n’a été fait.  Alors je devrais choisir entre devenir une femme stérile qui ne pourra pas enfanter ou une demoiselle morte avant l’heure pour cause d’incrédulité. J'ai donc décidé de ne pas choisir en acceptant la seule option échappatoire qui me restait : me faire enceinter.  J’étais obligée ! Peut-être que j'ai mal fait ou que c’est dur à comprendre, mais croyez-moi, j'ai beaucoup réfléchi avant d’agir et je ne voyais aucune autre issue. Pour y arriver, je prenais le temps d’expliquer ma situation à chaque nouveau courtisan. Heureusement ou malheureusement, il y avait un grand amoureux qui, d’après ses dires, était prêt à assumer une pareille responsabilité. Moi et lui, nous nous sommes mis d’accords pour le faire. Vous imaginez ce que ça fait de se livrer à un mec uniquement parce qu'il est d'accord pour t'offrir un bébé ? Un bébé que tu n'es même pas sûre qu’il prendra en charge comme il l'a promis !

   Ouais ! Je ne voulais pas perdre ma virginité dans ces conditions, je sais que je suis loin d’être prête pour être maman. Même cadre figure pour ce jeune garçon de vingt-cinq ans sans boulot, il n’est pas prêt pour être père ! Nous sommes deux immatures ; j’en suis consciente. Ni ma mère ni ses parents sont contre notre relation mais il le fallait. Déjà quatre mois enceinte ! En ce moment, je m’en fous des gens qui ont choisi de me juger alors qu’ils ne savent pas ce que j’ai vécu.  Cependant beaucoup de choses m’inquiètent encore. Je me sens inconfortable avec ma déformation. Je doute que mon petit ami tiendra promesse. J’ai de la peine quand je me rappelle que je ne pourrai pas reprendre le chemin de la fac en octobre prochain. Je n’arrête pas de me demander si mon enfant sera vraiment né, si je serai véritablement guérie quand on aura enlevé mon utérus après l’accouchement. Quel avenir pour moi, mon enfant et le mec ?  Enfin une seule chose est sûre, c’est qu’il faut que j’accepte le sort que la vie m’avait réservé. 

 ** Dédicace à toutes les filles qui ont une maladie de la sorte.  Soyez courageuses !

Berckson Johnsly JEAN-LOUIS

Full Stack Developer | Digital Marketing Enthusiast | Tech Writer | Project Manager | HR Professional | Advocate for Human Rights & Youth Leadership 🚀📊🇭🇹

                 

1 Commentaires

  1. Super! "On dirait que certains choix deviennent des obligations."

    ....

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